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introduction

L’ancienne colonie française de Saint-Domingue (dans l’actuelle Haïti) fut l’une des colonies caribéennes les plus brutales – et les plus lucratives – au dix-huitième siècle. Saint-Domingue était aussi le siège de la tradition théâtrale la plus considérable des Caraïbes. Cette tradition reste relativement méconnue de nos jours malgré les excellents travaux d’un petit nombre de chercheurs. Sans ignorer la violence et la cruauté extraordinaires qui caractérisaient la société saint-dominguoise contemporaine, ce site et cette base de données visent à faire découvrir la culture riche et variée du théâtre public, dont l’existence est documentée dans les journaux locaux entre 1764 (date marquant le début de la production imprimée locale) et 1791 (date à laquelle éclatèrent les révoltes d’esclaves qui mèneront à la Révolution haïtienne), ainsi qu’à promouvoir le développement de la recherche dans ce domaine. Entre ces dates, une série de journaux locaux annonça les représentations théâtrales programmées dans plusieurs villes à Saint-Domingue, notamment au Cap-Français (désormais Cap-Haïtien) et à Port-au-Prince. En l’absence de registres ou de livres de comptes, ces annonces parues dans la presse représentent la source d’information la plus complète sur le théâtre public à Saint-Domingue.

La plupart de nos connaissances proviennent de deux journaux (et de leurs variantes) : Les Affiches américaines et sa publication jumelle, le Supplément Aux Affiches américaines, tous deux consultables en ligne à la Bibliothèque numérique des Caraïbes, ainsi que dans les collections numériques hébergées par l’université de Floride. Des journaux supplémentaires furent exploités pour le début et tout particulièrement pour la fin de la période en question, puisqu’une série de nouvelles publications apparut pendant l’ère révolutionnaire. Ces sources supplémentaires furent consultées en ligne (Internet Archive) ou sur microfilm à la Bibliothèque nationale de France à Paris. Les références occasionnelles ou sommaires aux représentations théâtrales qui se trouvent dans d’autres documents contemporains tels les lettres et les mémoires ne sont pas incorporées dans la base de données.

Les journaux publiés à Saint-Domingue documentent la programmation de représentations théâtrales pour plus de 700 titres différents, dont certaines représentations étaient entièrement parlées, alors que d’autres étaient musicales. La majeure partie de ces œuvres furent directement importées de France, parfois quelques mois seulement après leur première à Paris ou ailleurs. De plus, un petit nombre toutefois significatif d’œuvres répertoriées furent produites par des auteurs vivant à Saint-Domingue, parmi lesquels le plus important est un certain « Clément », dont l’identité complète reste inconnue. L’une des caractéristiques les plus fascinantes et originales de la production théâtrale à Saint-Domingue est la parodie créole, qui s’inspire d’une œuvre française tout en transposant l’intrigue dans la Saint-Domingue contemporaine, met en scène des personnages noirs et inclut une première forme de créole haïtien dans ses dialogues. Thérèse et Jeannot de Clément constitue le seul exemple restant d’un texte de parodie créole.

Les représentations ayant lieu dans les théâtres publics de Saint-Domingue attiraient un mélange de spectateurs toutefois ségrégués, parmi lesquels on pouvait compter un nombre disproportionnellement faible (mais croissant) de gens de couleur libres. Bien que l’on pense habituellement que les personnes en esclavage étaient officiellement exclues de l’auditoire, l’existence de musiciens esclaves et affranchis qui jouaient parfois dans l’orchestre est attestée. Il est en outre probable que des individus en esclavage accompagnaient leurs maîtres au théâtre, même s’ils n’y restaient pas pour la totalité de l’événement. Quoique la scène ait été majoritairement blanche, nous connaissons les noms de deux comédiennes de couleur jouant en solo, et les sources contemporaines suggèrent qu’il y en avait sans doute d’autres.

Un événement théâtral typique à Saint-Domingue incluait deux œuvres et souvent de la musique ou des danses supplémentaires, parfois suivies d’un feu d’artifice et/ou d’un bal. (Les spectacles n’incluant pas d’œuvres dramatiques nommées, comme les feux d’artifice et les concerts indépendants, sont exclus.) Il est important de souligner que ce qui est documenté dans la presse locale pourrait ne constituer qu’un faible pourcentage de ce qui était en fait représenté à Saint-Domingue, puisqu’il semblerait qu’une grande partie des spectacles offerts aux abonnés dans le cadre de la programmation régulière n’étaient pas annoncés individuellement (si tant est qu’ils aient été annoncés) dans les journaux. Un nombre disproportionné des spectacles documentés ici étaient des spectacles-bénéfices, montés par des individus entreprenants pour leur propre bénéfice et à leur propre compte. Il n’est pas possible de savoir avec certitude dans quelle mesure les spectacles-bénéfices sont globalement représentatifs de ceux qui étaient régulièrement offerts aux abonnés, dont les détails ont été perdus. Cependant, ce qu’il nous est possible de documenter donne une excellente idée de la richesse et de la variété de la production théâtrale publique dans la colonie de Saint-Domingue. Cette recherche ouvre des perspectives sur l’histoire du théâtre à l’ère coloniale, tout en aidant à créer un espace pour l’existence d’une tradition théâtrale créole (c’est-à-dire locale) en émergence. Les utilisateurs de ce site trouveront des renseignements supplémentaires sur tous les aspects du théâtre à Saint-Domingue dans les ouvrages répertoriés dans la bibliographie.